Le jeu propose de prendre la tête d'un
Carrier Group US dans les opérations du Pacifique Sud entre mai 1941 ( Bataille de la Mer de Corail ) et la fin de la campagne des Salomons courant 1943. Le joueur doit s'opposer aux tentatives japonaises visant à prendre Port Moresby, Guadalcanal, voire Espiritu Santo dans les Nouvelles Hébrides. Il est possible de jouer un scénario aléatoire comme de recréer les conditions des grandes batailles livrées sur ce théatre d'opérations ( Mer de Corail, Salomons Orientales, Santa Cruz... ). Pour l'anecdote, une variante permet de mettre en scène le porte-avion nucléaire Nimitz contre l'ensemble de la Flotte Imperiale... un fantasme américain récurrent.
Mécanique généraleLe système laisse donc le joueur gérer les actions du camp US, alors qu'il prend en charge les Japonais. Ces derniers apparaissent en jeu sous forme de forces anonymes, qui peuvent être réelles ou fictives. Au fur-et-à-mesure que le joueur envoie des reconnaissances, il découvrira le type et le nombre des navires présents, avec toujours des possibilités d'identification erronée. Ces forces suivent deux règles de déplacement : le
mission move les fait approcher de manière semi-aléatoire de leurs objectifs, alors que le
combat move les fait réagir à la proximité des forces US ou de l'objectif en question. Elles pourront rechercher le combat à distance ( les porte-avions ), le contact rapproché, ( les navires de surface ), ou encore la fuite ( les transports de troupes ). Quant aux raids aériens, ils sont générés selon des tables de priorité reflétant à la fois le niveau de renseignement du commandement japonais et ses choix tactiques. En fait, les assaillants apparaissent directement sur leur objectif, sans crier gare ( mais tout ceci reste logique : le turnover des portes-avions nippons et l'heure de la journée entrent aussi en compte ! ). Une fois sa mission accomplie, la flotte japonaise se retire et la bataille prend fin.
Esthétique : Le matériel est austère au vu des canons graphiques actuels : travail minimaliste sur les pions avec leurs petites silhouettes monochromes, profusion de marqueurs quelconques qui ont cependant le mérite de la clarté et de l'ergonomie. La carte - en papier - est plutôt réussie et ajoute de la couleur à l'ensemble.
Ergonomie : Le confort de jeu est bien pensé, avec ses aides de jeu exhaustives, ses displays tactiques permettant un suivi aisé des flottes et plus encore des portes-avions. La gestion des aéroplanes, peu évidente dans la guerre navale ( montée et descente des ascenseurs, réarmement... ) devient du coup très digeste. Si de nombreux tirages de pions sont demandés en cours de jeu, le casier de rangement permet d'y faire face sans avoir à dévaliser l'armoire à tasses. Hélas, on ne coupe pas à un ( petit ) travail d'écriture pour enregistrer les raids aériens japonais et leurs pertes en appareils ( ils ne sont représentés par aucun pion ), et la place prise par l'ensemble du matériel déployé est conséquente.
Complexité : Il n'y a pas grand'risque à affirmer que
Carrier ne conviendra ni aux débutants ni aux dilletantes : le jeu est réellement complexe, les règles touffues et difficiles à digérer d'emblée. Tous les aspects de la guerre aéronavale sont abordés, avec des options qui permettent d'aller encore plus loin dans le réalisme. Il est cependant prévu de les apprendre progressivement, avec des scénarios d'entraînement venant immédiatement illustrer les points abordés dans les chapitres précédents. Une progression qui reste un modèle du genre.
Immersion : On se prend vite à imaginer les dilemnes posés aux amiraux de l'époque sur leurs passerelles, leur frustration à attendre les effets de leur décisions et l'arrivée de rapports fragmentaires sur les positions ennemies. Faut-il lancer les escadrilles sur les portes-avions qui viennent d'être repérés au risque de ne frapper que des navires secondaires faute de confirmation ? Faut-il lancer à la limite d'autonomie ou attendre d'être plus près, sachant qu'un raid japonais pourait arriver le premier à la verticale de votre TF ? Les chasseurs doivent-ils être alloués à l'escorte des lourds torpilleurs ou conservés en CAP ? Etc. Bref, de ce ce point de vue, le jeu est une grande réussite.
Décision : A lire les récits de batailles, les imprévus sont nombreux et parfois décisifs dans la guerre aéronavale : un avion isolé tombera parfois sur une force ennemie là où une escadrille entière fera chou blanc ; une CAP pourtant massive se fera parfois trouer par un raid qui la prend à contre-pied ; des dizaines de bombardiers n'obtiendront pas de résultats là où quelques pilotes mettront un pont en feu... S'il est tout à fait possible de se retrouver rayé des mers avant d'avoir pu identifier le moindre porte-avion ennemi, le jeu encourage et récompense clairement les comportements cohérents. Point de salut pour le marin
lorrain d'eau douce qui néglige ses moyens de reconnaissance, ne parvient pas à rendre ses escadrilles disponibles au moment de frapper, ou se promène de nuit à proximité des cuirassés nippons. Définitivement, et conformément à la réalité, le joueur ne contrôle pas tout, mais son rôle est loin de se cantonner à lancer des dés et à subir leurs résultats. Il doit organiser, calculer, parier, face à un adversaire de papier qui pardonne rarement les bévues.
Opposition : La qualité de l'IA, justement, est remarquable : les forces ennemies se comportent différemment selon leur composition, et savent se montrer dangereuses sans être suicidaires. Par exemple, une force de porte-avions se mettra au plus vite à distance d'attaque des
carriers US, alors qu'une flotte de surface les évitera le jour pour tenter de passer outre leur position de nuit. De même, une escadre étrillée ou ayant accompli sa mission ( bombardement, débarquement de troupes ) tentera-t-elle de se mettre définitivement à l'abri. Lorque se déclare un combat de surface, les navires japonais fuiront s'ils sont dominés ou tenteront de couler en priorité les grosses cibles en concentrant leurs tirs. Entre scriptage et tirages aléatoires, le système a su trouver un équilibre performant qui maintient en permanence le joueur sur ses gardes.
Rejouabilité : D'un scénario à l'autres, tout peut changer : la période, les forces en présence, les objectifs ennemis. On ne sait jamais à l'avance d'où va débouler la menace, et quelle sera sa forme exacte. En fonction de ses propres actions, on verra l'IA japonaise adapter ses mouvements et ses attaques, toujours d'une manière pertinente et compétitive. C'est là une qualité majeure dont bien peu de jeux en solitaire - à commencer par le pourtant remarquable
Ambush - peuvent se targuer ! Evidemment, les règles tactiques restent les mêmes d'une partie à l'autre et les joueurs pourront faire fructifier leurs expériences, mais sans jamais être assurés du succès à l'avance.
Carrier est un produit exigeant, intimidant sans doute, mais qui a énormément à donner en retour de l'effort d'apprentissage consenti. Vestige d'une époque où la médiocrité n'était pas érigée en argument de vente, il est le résultat d'un processus de conception original et parfaitement maîtrisé. Et malgré son âge, l'un des meilleurs - sinon le meilleur - jeu solitaire jamais paru.